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Tamar

     

Pour vous donner un clin d'œil sur la situation des femmes au Tchad, nous vous présentons quelques témoignages personnelles des femmes tchadiennes de la région du Guéra, tirés du livre "Là où habitent les femmes", éditée par Renée Johns et Rachel Bokoro du Comité Central des Mennonites, en 1993.

     C'était la première femme tchadienne que j'ai rencontrée le premier matin de ma venue au Tchad. Elle travaillait avec le Comité Central Mennonite entre temps et était toujours très gentille et patiente avec les nouveaux volontaires qui arrivent généralement très confus. Ce premier matin là nous sommes tous allées au marché et je me rappelle avoir suivi son joli laffaye (voile) quand nous traversions le labyrinthe de boue qu'est le marché de N'Djaména.
     Depuis deux ans et demi je continue à admirer Tamar parce qu'elle affronte la vie avec courage. Son sourire illumine son visage et elle offre toujours un mot encourageant.

     Je viens du village Mokoulou. Ma mère est Mokoulou et mon père est un Sara. J'ai grandi à Moukoulou et à Bitkine.
     Mon grand père a travaillé avec les premiers missionnaires. Il a travaillé beaucoup d'années jusqu'à être malade avant de mourir. Mais avant de mourir il a demandé à mon père de rester au Guéra afin de continuer son travail pour le Sauveur.
     Ainsi mon père était aussi un évangéliste comme son père. Il n'est pas parti à l'école, mais il avait été éduqué par les missionnaires et avait enseigné à l'école privée de Moukoulou et évangélisait aussi.
     Il a épousé ma mère et ils se sont déplacés dans un village appelé Djikatchet. Mais il y avait des rebelles dans la région et mon père, un sudiste, était soupçonné d'être du côté du gouvernement. En réalité il n'était pas d'accord avec le président au pouvoir. Mais les villageois ont averti mon père que les rebelles voulaient le tuer. Ainsi il a fui avec sa famille pour aller à Bitkine. Et les rebelles ont brûlé la maison avec toutes les choses : mil, arachides...
     Dès lors nous avons vécu à Bitkine, et de là mon père est allé dans d'autres villages pour annoncer l'évangile. Quand il trouvait des personnes intéressées par l'évangile, il les aidait à bâtir une église. Il enseignait des cours de baptême. Il a continué même à travers des difficultés. Il évangélise encore aujourd'hui à Bailli parmi les Baguirmi et d'autres ethnies qui vivent là.
     J'ai donc fréquenté l'école primaire à Bitkine et j'ai passé en sixième après avoir obtenu mon certificat. Il y avait un lycée féminin à N'Djaména. Mais six mois après, la guerre civile a éclaté et nous étions reparties au Guéra.
     Pendant ce temps je me suis mariée. J'avais quinze ans et demi. Je fréquentais l'école à Mongo et mon mari finissait ses études à Sarh au sud du pays. Il a marché de Sarh jusqu'à Bitkine. Il n'y avait pas de moyens de déplacement pendant la guerre. Mais les Sudistes étaient menacés ici par les Hadjeraï, tout comme les Hadjeraï et les Arabes était menacés au Sud. Mon mari a continué sa marche jusqu'à N'Djaména (environ 500 km). Mais quand tout était calme de nouveau, il est revenu et nous étions affectés pour Ati. C'est là que j'ai fait la troisième et j'ai obtenu mon brevet.
     J'étais aussi enceinte de jumeaux. Nous nous sommes inquiétés et nous avons pensé retourner à Bitkine pour l'accouchement. J'avais huit mois de grossesse et la sage-femme me disait que je devais avoir des jumeaux parce que je pesais plus de 50 kg. J'ai accouché à Ati le 30 septembre, et les jumeaux ont dix ans maintenant.
     Après un an et demi à N'Djaména, mon mari était affecté au Guéra et nous sommes retournés à Moukoulou, son deuxième poste d'enseignement. Nous nous sommes déplacés plusieurs fois entre Mongo et Bitkine. En 1987 les Hadjeraï étaient encore menacés. Mon mari a marché de nouveau jusqu'à N'Djaména. Dieu l'a bien gardé. Il a parfois marché à travers la brousse. Il restait près des postes militaires quelquefois. Puis les enfants et moi avons voyagé en camion pour le rejoindre à N'Djaména. Après cela nous étions affectés dans la région du Lac Tchad pendant un an. Nous sommes maintenant à N'Djaména depuis six ans. Mon mari enseigne toujours à l'école primaire.
     La vie à N'Djaména est très, très chère. Je travaille chez quelques missionnaires  et j'étais aussi une enseignante volontaire depuis cinq ans à côté de mon mari. La couture que j'ai apprise m'aide aussi. Je possède une machine à coudre maintenant. J'ai un petit hangar sur la ruelle devant notre porte. Je peux coudre des pantalons, des jupes.
     Malgré cela, la vie est difficile. Les enseignants étaient normalement payés avant. Maintenant les salaires ne sont pas réguliers. Parfois nous vivons six à sept mois sans le salaire de mon mari. Ceci me pousse à vouloir repartir au village. Au village on peut aller en brousse chercher du bois de chauffage. On peut prendre de l'eau du puits gratuitement. On peut moudre ses grains personnels entre deux pierres et avoir de la farine. En ville il faut payer le moulin et le bois de chauffage (pour cuire les aliments). Même l'eau doit être achetée à un des robinets dans la ville. Ca coûte 5 CFA (environ 0.10 € ou US$0.10) le seau. Les robinets appartiennent aux hommes d'affaires et il faut payer l'eau. Je vais à environ cent mètres pour chercher de l'eau. Je fais plusieurs voyages chaque jour et je paie 5 CFA par seau de 25 litres...
     Une fois nous avons passé deux jours sans avoir assez de nourriture pour que chacun goûte. Nous sommes quinze personnes dans trois petites chambres. Il y a mon mari et moi-même, nos enfants et les membres de la famille élargie. Nous y sommes habitués mais c'est vraiment très serré.  Chaque famille ici abrite des frères, des cousins et autres.
     Je n'ai pas de travaille actuellement; parfois le Comité Central Mennonite ou une organisation vient me dire qu'ils ont du travail pour moi. Mais parce que je travaille parfois avec les blancs, d'autres amis et la famille pensent que j'ai de l'argent. Ils viennent constamment me demander 100 CFA ou 50 CFA. Et c'est très difficile de dire, "Je n'ai pas d'argent." Même si on en a un peu seulement, on est obligé de le partager.
     Il y a aussi beaucoup d'insécurité à N'Djaména. Il n'y a pas longtemps qu'un frère du Guéra allait en promenade avec un ami. Ils ont rencontré deux hommes qui ont essayé de les arrêter pour leur faire du mal. L'homme du Guéra a refusé et ils l'ont tué. Il portait sa carte d'identité national sur lui, ainsi l'annonce de sa mort était faite à la radio et sa famille est allée à la station de police pour prendre son corps. Ici la sécurité n'est pas contrôlée. C'est mieux au village. Au moins on peut se promener librement.
     J'ai six enfants. La dernière est nommée Anita parce que c'est lorsque je travaillais avec mon amie Anita Hostetler du CCM que j'avais sa grossesse.

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  Pour le moment, la majorité des témoignages qu'on a pu recueillir viennent des femmes tchadiennes au Guéra. Les femmes tchadiennes partout dans le monde (surtout au sud et à l'est du pays, ainsi qu'à l'étranger) sont invitées à nous envoyer leur témoignage personnelle de ce que c'est vraiment d'être femme tchadienne...  
   

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